Marie-Noelle Closse-Duquette, qui a connu la scène municipale et fédérale, le dit sans détour :
« Je trouve que la situation s’est détériorée dans les 15 dernières années. Les femmes peuvent être rebutées par le ton, qui est plus vindicatif, plus belliqueux. C’est moins notre façon de parler. »
Linda Lapointe, députée fédérale et présidente du caucus des femmes, partage cette lecture. Forte de son expérience à Ottawa, elle a vu de près ce que ce climat produit :
« Le ton belliqueux… rebute des femmes ; raison de plus pour en avoir plus autour de la table. Parce qu’il ne faut pas importer cette façon d’être-là vindicative. Il faut rester nous-mêmes. »
La formule dit tout : pour survivre, il faut parfois se blinder. Mais à quel prix?
Le choc du réel
Pour Jacynthe Prince, jeune conseillère municipale de Sainte-Thérèse, la désillusion a été brutale. Elle qui croyait trouver un espace de débat serein a vite été confrontée à une réalité beaucoup moins noble.
« Je croyais que le respect allait être présent. Finalement, je me suis rendue compte que c’était un retour à l’école secondaire… le manque de respect, les attaques personnelles. Ça m’a complètement choquée. Certains de mes collègues ont quitté la vie municipale à cause de ça. »
Ce constat rejoint celui de nombreuses élues de sa génération : les premières séances sont souvent vécues comme une douche froide. Le rêve d’apporter une contribution positive se heurte au théâtre de la confrontation, où l’attaque personnelle prend souvent le dessus sur l’argumentaire.
Changer pour survivre?
Face à cette culture, plusieurs se demandent s’il faut adopter des codes plus “masculins” pour se faire entendre. Priscilla Lamontagne, conseillère à Sainte-Marthe-sur-le-Lac, résume cette tension avec une référence littéraire :
« Dans Le sexe du pouvoir, plusieurs femmes disaient qu’il faut parfois changer notre manière, adopter un certain comportement, des attitudes un peu plus “dans le tas”, un peu plus masculines. »
Faut-il alors jouer ce jeu, quitte à se trahir? C’est là que les voix divergent. Pour Linda Lapointe, la réponse est claire :
« Rester authentique… on n’a pas besoin d’emprunter des mots qui ne sont pas les nôtres. Une fois, on voulait me mettre des mots dans la bouche que je n’utilise pas. J’ai dit : je ne ferai jamais ça. »
Jacynthe Prince exprime une conviction similaire, en assumant ce que certains lui reprochent :
« On m’a déjà dit : tu es peut-être trop sensible pour faire de la politique. Mais je ne suis pas trop sensible. J’ai une sensibilité, et je pense que c’est important. Je ne dois pas enfouir mes émotions pour paraître bien autour de la table. »
Priscilla nuance. Pour elle, rester soi-même ne signifie pas être effacée :
« Je ne suis pas douce et patiente. J’ai de l’attitude, je suis capable d’amener mes idées, mais je n’aime pas ça quand on tombe dans les attaques personnelles. Ce que je veux, c’est qu’on débatte autrement, sans écraser les autres. »
La pression des apparences
Comme si le climat interne ne suffisait pas, s’ajoute un autre poids : celui des regards extérieurs. Les femmes en politique savent que leur apparence sera jugée, parfois plus que leurs arguments.
Marie-Noelle donne un exemple frappant :
« Pauline Marois, quand elle était première ministre, devait faire constamment attention à sa façon d’être habillée. Est-ce qu’on a vraiment déjà critiqué la façon dont s’habille un premier ministre? Pas vraiment. »
Linda Lapointe ajoute un détail révélateur :
« Un homme va arriver mal rasé, ou un peu dépeigné, on n’en ferait pas de cas. Mais une femme va arriver un peu négligée, on va le remarquer. »
Ce double standard, omniprésent, fragilise encore plus un terrain déjà miné. Il rappelle que l’égalité réelle n’est pas seulement une question de chiffres autour de la table, mais aussi de perception et de légitimité.
Quand les réseaux sociaux s’en mêlent
Au-delà des conseils municipaux et des chambres parlementaires, un autre champ de bataille s’est imposé ces dernières années : les réseaux sociaux. Chaque mot, chaque geste y est scruté, amplifié, parfois déformé. Les attaques y prennent une ampleur disproportionnée.
Toutes en conviennent : cette caisse de résonance, souvent anonyme et violente, ajoute une pression supplémentaire. Si le transcript ne livre pas de longues tirades sur le sujet, les regards échangés autour de la table suffisent à faire comprendre que chacune en a déjà fait les frais. Les critiques sur le ton, sur l’apparence, sur la personnalité, trouvent dans ces plateformes un terrain fertile.
Pour une politique différente
Face à ces constats, une aspiration se dégage : celle d’une politique où le respect aurait sa place, où la confrontation d’idées ne se transformerait pas en joute personnelle.
Priscilla résume : « Ce que je veux, c’est qu’on débatte autrement, sans écraser les autres ». Jacynthe renchérit : « Je ne dois pas enfouir mes émotions pour paraître bien autour de la table ».
Linda ferme la boucle : « Rester authentique… c’est la seule façon d’apporter une couleur différente ».
Pour elles, il ne s’agit pas seulement d’un souhait personnel, mais d’une condition pour que davantage de femmes s’engagent et demeurent en politique. Tant que le climat restera hostile, le chemin de la parité demeurera semé d’embûches. Mais en affirmant haut et fort leur volonté de faire autrement, elles ouvrent déjà la voie à une autre manière de faire de la politique.
À lire dans le cadre de la série Ici, elles s’engagent
Entre doutes et détermination
La femme politique au-delà du symbole
Conseils et outils pour les femmes souhaitant se lancer en politique municipale
MOTS-CLÉS
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