« Un monde d’adulte »
Le cas de Jacynthe Prince, conseillère municipale du district 3 à Sainte-Thérèse, est éloquent à ce niveau. L’enseignante et entrepreneure confie avoir été habitée par un profond sentiment d’imposteur : « Je n’ai pas ma place, c’est un monde d’adultes. Qu’est-ce que je vais y amener? Je n’ai aucune expérience. Je viens surtout d’un milieu pas du tout politisé », explique-t-elle.
Loin de se laisser paralyser, madame Prince précise avoir pris le dessus sur ses doutes. « Au lieu d’être un frein, je me suis dit OK, qu’est-ce que je peux vraiment changer? Ça a confirmé les raisons pour lesquelles je me suis lancée finalement », renchérit-elle.
Son authenticité et sa sensibilité, qui auraient pu être perçues comme des faiblesses, sont finalement devenues ses forces. « On m’a déjà dit que j’étais peut-être trop sensible pour faire de la politique. Mais je ne suis pas trop sensible. J’ai une sensibilité, et je pense que c’est important de la reconnaître et de la mettre au service de la démocratie », insiste-t-elle.
Pour elle, cette approche différente est non seulement légitime, mais nécessaire : « Je crois qu’il faut oser être soi-même, rester authentique et montrer que la politique peut se faire autrement. » Candidate à un second mandat à l’élection du 2 novembre, Jacynthe Prince dit vouloir continuer à porter cette voix.
Élémentaire chère Priscilla
À ses côtés, Priscilla Lamontagne, conseillère municipale à Sainte-Marthe-sur-le-Lac, a connu un parcours différent mais traversé par les mêmes dilemmes. Issue du milieu associatif et engagée depuis longtemps dans diverses causes, elle n’a jamais douté de ses capacités. Pour Priscilla, ce n’était pas la compétence qui était en cause, mais la charge mentale, elle, était bien réelle. « Pour les femmes, c’est souvent une question de conciliation famille-politique. On vit avec la culpabilité chaque fois qu’on sort de la maison, en se demandant si on fait le bon choix », poursuit-elle. Cette réalité, elle l’assume, mais rappelle aussi que la politique doit s’ouvrir aux voix féminines pour mieux représenter l’ensemble de la société.
En effet, c’est la sphère publique et familiale qui l’a le plus fait hésiter. « J’avais une petite fille de quatre ans, un petit garçon d’un an… Je me demandais : est-ce que ça va les affecter? Est-ce que ça va avoir un impact sur leur enfance? » confie-t-elle.
C’est d’ailleurs avec sa fille qu’elle est arrivée, la petite tenait un livre d’Enola Holmes bien serré contre elle — une héroïne qui doit faire ses preuves malgré la notoriété de son frère Sherlock. Comme quoi il n’est jamais trop tôt pour transmettre les bonnes valeurs.
Tombée dans la potion
Pour Marie-Noëlle Closson-Duquette, conseillère municipale de Sainte-Thérèse de 2005 à 2009, l’entrée en politique s’est faite avec une candeur assumée. « J’étais en cinquième année et je disais déjà que je voulais devenir mairesse de Sainte-Thérèse », se remémore-t-elle en souriant. Lorsqu’elle s’est finalement présentée à 27 ans, « j’avais une certaine naïveté, je n’ai pas tant douté. J’aurais peut-être dû », ajoute-t-elle. Animée depuis toujours par cette curiosité de l’appareil politique, elle a poursuivi son engagement et s’est même portée candidate aux élections fédérales de 2021.
Même à ce moment-là, malgré sa carrière et son expérience, elle avoue s’être confiée spontanément à des rôles en deçà de ses capacités. « Par réflexe, je disais peut-être itinérance, communautaire », raconte-t-elle. C’est finalement son chef, Yves-François Blanchet, qui l’a remise sur ses rails en lui disant : « Tu vas prendre les dossiers économiques. »
Preuve que la flamme est toujours vive, Marie-Noëlle Closson-Duquette s’est de nouveau représentée en 2025, confirmant que pour elle, la politique reste un moteur et une passion à long terme.
Rigueur et persévérance : la marque des élues
Pour Linda Lapointe, l’engagement politique n’est jamais acquis. Après avoir siégé comme députée fédérale, puis fait un passage au provincial, elle est revenue à la vie publique avec un sentiment d’urgence. « Avec ce qui se passe au sud de la frontière, le vent qui souffle n’est pas bon pour les femmes. Il faut continuer à faire avancer la cause », dit-elle.
Présidente du caucus des femmes à Ottawa, elle rappelle que chaque avancée demeure fragile. « On ne peut pas prendre nos droits pour acquis. Ce que je veux, c’est que les petites filles aient plus de droits que nous en avons eus, et moins de barrières. »
Elle constate aussi une différence marquée entre les femmes et les hommes dans leur façon d’aborder la politique : « Quand j’arrivais dans des commissions parlementaires, les femmes avaient toujours étudié leur dossier de fond en comble, prêtes à répondre à toutes les questions. Les hommes, parfois, se lançaient sans préparation. Ce n’est pas une faiblesse d’être bien préparée, au contraire : c’est notre force. »
À ses yeux, la présence des femmes en politique n’est pas seulement souhaitable, elle est indispensable. « Pour prendre des décisions éclairées, il faut que toutes les réalités soient représentées. On est la moitié de la population, ça prend la moitié de la table. »
Ces témoignages, riches et contrastés, rappellent que la politique ne se construit jamais sans doutes, mais que ceux-ci peuvent devenir une véritable force lorsqu’ils sont assumés.
À lire dans le cadre de la série Ici, elles s’engagent
Le climat politique et la bataille pour l’authenticité
La femme politique au-delà du symbole
Conseils et outils pour les femmes souhaitant se lancer en politique municipale
MOTS-CLÉS
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