Propriétaire du studio L’Atelier X Tattoo sur la rue Parthenais, à Montréal, le Marthelacquois d’origine voit son nom et son art traverser les frontières a ouvert les portes de son deuxième chez-soi au journal L’Éveil, le temps d’une journée bien spéciale.
Un événement organisé par Empower Ink, où six femmes survivantes du cancer du sein se font tatouer sur leurs cicatrices pour se réapproprier leur corps. L’idée : transformer les traces du combat en fresques intimes, puissantes, belles.
« La partie de ton corps que tu aimes le moins, je vais m’arranger pour que ça devienne celle que tu aimes le plus ». Voilà la philosophie de Patrick, 365 jours par année. Le voir associé à cette journée unique est forcément logique.
Pour Karen Malkin Lazarovitz la femme derrière Empower Ink « La chose la plus importante, c’est de trouver les artistes qui le font pour les bonnes raisons. Pas juste pour avoir de la visibilité. Ceux qui veulent vraiment changer une vie ». Et dans le cas de Patrick Desautels, pas besoin de passer des heures sur sa chaise pour comprendre que sa démarche face à l’art ancestral du tatouage est profonde et significative. La raison est simple : il a passé sa vie à y réfléchir.
Tout a commencé avec un dragon. Un tatouage rudimentaire, gravé sur le bras de son beau-père. Patrick avait quatre ans. Fasciné, il associe dès lors le tattoo à la force. Il rêve de ce métier, le dessine, l’imagine. « J’ai fait un rêve quand j’étais petit, mon beau-père se battait contre un homme couvert de tatouages. En remportant le combat, tous les tatouages de l’autre disparaissaient… pour réapparaître sur mon beau-père. Je savais que j’allais être tatoueur ».
Empower Ink et L’Atelier X Tattoo
« Le studio n’a jamais été aussi plein, on va tous pleurer aujourd’hui », admet Patrick dans ses derniers préparatifs. Des survivantes, des artistes, des proches, des larmes, des sourires — tous réunis dans un même espace, pour une même raison : transformer la douleur en quelque chose de beau.
« J’ai fondé Empower Ink pour connecter des survivantes du cancer du sein — femmes et hommes — avec des artistes tatoueurs qui acceptent de couvrir gratuitement leurs cicatrices de mastectomie, explique Karen. Moi-même, j’ai eu une mastectomie il y a 16 ans. Le jour où j’ai décidé de tatouer mes cicatrices, j’ai retrouvé de la joie dans le miroir. J’ai vu quelque chose que j’avais choisi. Et ça, c’était à 100 % mon choix. »
Aujourd’hui, elles sont six. Certaines vivent avec un cancer métastatique, ce qui signifie un traitement à vie. D’autres amorcent enfin une rémission. « C’est souvent la première fois depuis l’opération qu’elles ont vraiment le contrôle. Et ce moment-là, il est profond. »
Les voix de la guérison
Wendy fait partie de celles qui, ce jour-là, espèrent tourner une page. « On a beau dire que c’est dans la tête… qu’une fois les traitements terminés c’est fini, mais le soir, quand t’enlèves ton chandail, ça joue », confie-t-elle avec émotion. Deux ans après sa mastectomie, elle n’avait jamais vraiment réussi à faire la paix avec son reflet. Ce tatouage, elle l’attendait. Ce matin-là, Wendy est arrivée aux bras de ses deux filles, fière de vivre ce moment avec elles. « Je suis trop contente. À 53 ans, je crois qu’on a droit à un premier tatou. »

Certaines, comme Wendy, ont vécu cette journée spéciale entourées de leurs
proches. Dans son cas, elle était accompagnée de ses deux filles pour tourner la page sur cet épisode douloureux.
Carolanne, elle, a été diagnostiquée à 29 ans. Son cancer, elle l’a découvert par pur hasard. Une morsure de chat, un gonflement suspect, un instinct. « J’ai demandé qu’on pousse les tests. Finalement, j’avais une masse cancéreuse ». Elle reçoit son diagnostic au tout début de la pandémie. Trois chirurgies, traitements, reconstruction. Aujourd’hui en rémission, il lui reste un an de traitement.
Le tatouage qu’elle s’apprête à recevoir n’a rien de décoratif. Il recouvre les cicatrices sous ses seins, les intègre, les transforme. « C’est pas l’endroit le plus facile qu’on a choisi… mais je suis prête. Ça va être beau. »
Kat, elle, a une histoire différente, mais tout aussi bouleversante. Son cancer est passé du stade 1 au stade 4 en quelques mois, à cause d’un mauvais suivi médical. Elle vit aujourd’hui avec la maladie. Mais dans son malheur, une étrange lumière est apparue : le traitement a guéri son épilepsie hormonale. « À 42 ans, j’ai eu mon permis de conduire pour la première fois », confie-t-elle, résiliente.
Impossible pour elle de se faire tatouer près de sa mastectomie à cause d’un lymphœdème. Elle a donc choisi un ruban de guerrière, sur le bras. Un symbole discret, mais immense. « Chaque année, je voulais participer… mais je ne pouvais pas. Cette année, je le fais à ma manière. »
Il y avait quelque chose de solennel dans l’air. Une solidarité entre les corps, les regards et les gestes attentifs. Karen et l’équipe de L’Atelier X Tattoo avaient tout prévu. Dès midi, le comptoir d’accueil débordait de paniers cadeaux destinés aux participantes. Quelques instants après les mots touchants de Karen, les bouchons de champagne ont sauté, comme un prélude à ce rituel bien particulier. Puis les chandails sont tombés. Les cicatrices sont devenues visibles, assumées, accueillies. Pas de gêne. Juste une aura de courage, d’élégance, de puissance.
Les aiguilles ont touché la peau. Le silence a laissé place à l’action. Et pendant quelques heures, six femmes se sont une fois de plus tenues debout. Ensemble.

Les survivantes ont été prises en charge de façon irréprochable. Ce jour-là, elles étaient les seules vedettes.
La lutte contre le cancer du sein dépasse les frontières. Elle traverse les corps, les familles, les générations. Mais parfois, au cœur de cette universalité, il y a un lieu d’origine. Une racine. Un point de départ.
Patrick est parti de Sainte-Marthe-sur-le-Lac à 16 ans dans le but de poursuivre son rêve, aujourd’hui, il partage son talent partout sur le globe. Ce dimanche, 18 mai, en voyant ces femmes transformer leurs cicatrices en œuvres de courage, le petit Patrick, pâmé sur le tattoo de son beau-père et qui croyait que les tattoos donnaient du pouvoir, ne s’est pas senti seul.
Il avait raison depuis le début.
MOTS-CLÉS
Survivante
Tatouage
cancer du sein
Sainte-Marthe-sur-le-Lac
modèle inspirant
Atelier X Tattoo
Empower Ink