L’Gros Bill, le Grand Jean, Monsieur Béliveau, autant de termes pour expliquer à la fois la familiarité et le respect avec lesquels les partisans abordaient ce grand et humble ambassadeur du CH et du hockey de la LNH. Lorsque paraîtra ce commentaire, on en sera à porter en terre Le Capitaine du Canadien. Au cours des derniers jours, les pages et ondes sportives ont donné lieu à une déferlante d’hommages à sa carrière de hockeyeur et à ses qualités de père et d’époux et aux témoignages de ses coéquipiers comme à ceux de ses adversaires. Artistes et politiciens y ont aussi ajouté leur grain de sel, mais n’y voyez surtout pas un brin d’opportunisme. Quoi ajouter à ce concert d’éloges? Rien, tout a été dit.
Pour moi, la mort de Jean Béliveau, celle de Gilles Tremblay, le prochain passage à trépas de Gordie Howe et les anecdotes racontées par les Marcel Bonin, Phil Goyette, André Pronovost et Jean-Guy Talbot, tous octogénaires, tirent un gros trait définitif sur ma période de ti‑cul idolâtrant les Canadiens, d’adolescent fanatique du CH et d’adulte, partisan tout court de l’équipe montréalaise.
Jean Béliveau a pris sa retraite du hockey en 1971, après avoir connu à 39 ans une saison de 98 points, dont 22 en 20 matchs de séries, pour mener son équipe à la conquête de la coupe Stanley face aux puissants Bruins. Rappelez-vous cette victoire de 7‑5 à Boston, signée Jean Béliveau, alors que les siens tiraient de l’arrière 2‑5 après deux périodes. Il y a de cela plus de 43 ans! On oublie que ça fait si longtemps, mais on le réalise vite lorsqu’on entend ces capitaines retraités lui rendre hommage. Vincent Damphousse: «Je ne l’ai jamais vu jouer, mais…», Bob Gainey: «Je n’ai pas joué avec lui… passer du temps avec Monsieur Béliveau, c’était un privilège», sans compter les Guy Carbonneau, Scotty Bowman et Kirk Muller qui, il n’y a pas si longtemps me semble-t-il, meublaient nos pages sportives.
Le départ de Jean Béliveau tourne aussi la page sur cette génération de joueurs qui n’ont porté qu’un seul uniforme en carrière. Dix coupes Stanley comme joueur actif et sept autres comme membre de l’organisation du Canadien. Le Grand Jean avait peut-être mis du temps à se laisser convaincre de venir à Montréal, mais une fois arrivé, il est resté loyal toute sa vie à l’équipe qui lui avait confié le dossard tricolore numéro 4. Plusieurs grands joueurs dont les Howe, Hull, Harvey, Plante, Geoffrion et autres se sont vu forcés ou ont simplement décidé de défendre l’honneur d’autres équipes. Pas Monsieur Béliveau.
Jean Béliveau vient de mourir, on l’a inhumé aujourd’hui. À chaud la semaine dernière, plusieurs toponymistes ont plaidé le bien-fondé de lui rendre hommage en donnant son nom à l’amphithéâtre en construction à Québec. Naturellement, Québecor n’allait pas immédiatement s’inscrire en faux, mais dans le contexte économique de la LNH, on devine bien que dans quelques années, ils n’hésiteront pas à vendre le nom à un riche commanditaire prêt à payer ce qu’il faut pour avoir son nom sur la bâtisse plutôt qu’honorer la mémoire du Grand Jean. Donner à cet amphithéâtre le nom de Jean Béliveau n’aurait de sens que si Québec obtenait d’abord une franchise de la LNH. Si on se fie aux échos en provenance de la garde rapprochée du sieur Bettman, ce ne sera pas demain la veille. Et avec le temps, on aura oublié les belles paroles prononcées en ces jours de deuil et on vendra le nom aux enchères de la commandite. Ainsi va le commerce, mes chers amis! Quant à moi, depuis une semaine, j’ai cette vieille rengaine qui me trotte dans la tête: «Et voilà, le Gros Bill, qui s’en vient en ville, tout le long de l’île, le long de l’eau.» Salut, Monsieur Béliveau.