Plusieurs d’entre vous se rappellent, sans doute, ces événements. Le Québec connaît alors des situations de tensions hors du commun. Les Mohawks, cherchant à protéger leur territoire ancestral, veulent réprimer les velléités du maire Jean Ouellette d’empiéter sur leur terrain. Ils montent au créneau, érigent des barricades, et bloquent des passages. La SQ intervient. Les soldats canadiens prennent le relais. Il s’est ensuivi de violents affrontements. Début d’un état de siège jamais vécu auparavant par Benoit Bilodeau.
C’est en écoutant les nouvelles qu’il apprend l’éclatement de la crise le 11 juillet. Il débarque sur les lieux le jour même, accompagné de son rédacteur en chef, Rémi Binette.

Quelques jours avant le début de la crise, le maire du village d’Oka, Jean Ouellette (à droite), accompagné de l’avocat Luc Carbonneau, avait demandé à la Sûreté du Québec d’intervenir.
« On a dit qu’on allait voir ce qui se passe », lâche Benoit Bilodeau. Le torchon brûlait depuis des semaines. L’agrandissement du Club de golf d’Oka sur une partie du cimetière mohawk donne lieu à des tensions grandissantes. Le conseil municipal d’Oka avait approuvé le projet malgré l’opposition de la communauté autochtone. Benoît avait d’ailleurs couvert les prémices en 1989 pour l’Éveil et la Concorde, sans imaginer l’ampleur que prendrait le conflit.
Premiers contacts avec la réalité sur le terrain
Benoit Bilodeau et son collègue Rémi Binette se dirigent par la route 344 vers Oka. Bien avant d’atteindre le site, les forces de l’ordre les interceptent en marge du périmètre de sécurité établi devant l’Abbaye d’Oka, raconte, songeur, le journaliste âgé aujourd’hui de 65 ans.
Celui-ci explique que malgré leur identification comme membre d’un média, les policiers les ont tout de même soumis à une fouille complète, et les ont temporairement retenus.
« J’avais beau dire que nous étions journalistes, ils nous ont fait sortir de la voiture, moi et mon collègue Rémi. Ils nous ont fouillés à la voiture. Ils nous ont mis sur le trottoir. On était quasiment en garde à vue. »

Les face-à-face entre Mohawks et les forces de l’ordre ont été chose courante durant cette crise.
Signe de la complexité entourant ces revendications autochtones amorcées des mois avant le fameux 11 juillet, et qu’il devra rapporter dans les moindres détails. Comment parviendra-t-il à la cerner ? Lui, avec à peine quelques années d’expérience et ses limites sur ces enjeux spécifiques, comme beaucoup d’autres sur le terrain.
« Je ne connaissais pas tout cet historique-là », admet-il.
Le dossier paraît, de toute évidence, épineux, corsé, âpre, en comparaison aux sujets couverts habituellement, reconnaît le journaliste. Kanesatake, observe-t-il, d’entrée de jeu, s’avère « une communauté assez divisée » avec ses guerres intestines, presque endémiques.

Dès les heures qui ont suivi l’intervention de la Sûreté du Québec, une barricade a vite été dressée au haut de la rue Saint-Michel, face à l’entrée du Club de golf d’Oka.
La crise
Devant les barricades comme derrière, les frictions sont palpables. Les nerfs sont à vif. Malgré l’escalade des tensions, comprenez que ni la Municipalité ni les Mohawks ne semble disposé à céder du terrain.La Municipalité d’Oka obtient, quelques semaines plus tard, une injonction de la Cour ordonnant aux Mohawks de démonter leur barricade, écrit Benoit Bilodeau dans l’édition de mai 1990 du journal Concorde. Le projet de développement étant toujours sur le point de se concrétiser, les activistes refusent de capituler. Le maire, lui, n’entend pas abandonner le fameux projet, même si, le ministre délégué aux Affaires autochtones du Québec, John Ciaccia, qui anticipe une dégénérescence de la situation, en demande la suspension. Les Mohawks demeurent fermes au poste. Impuissant, le maire Ouellette demande l’intervention formelle de la Sûreté du Québec.
La situation dégénère tragiquement cette fameuse journée du 11 juillet 1990 lorsque les armes se substituent au dialogue. Un affrontement entre la Sûreté du Québec et les Mohawks de Kanesatake fait un mort : le caporal Marcel Lemay. Cet événement déclenche une crise majeure qui implique des manifestants mohawks, des résidents québécois mécontents et mobilise rapidement la Sûreté du Québec, la Gendarmerie royale du Canada et finalement l’armée canadienne après l’échec des négociations.

Un groupe de Mohawks traditionalistes, mené par Ellen Gabriel (à droite), fait entendre ici ses revendications.
Les contraintes de la couverture
Le journal L’Éveil, et le journal Concorde — qui n’est plus édité aujourd’huil — publiaient en alternance, entre 72 et 96 pages par semaine. Et, s’agissant de deux hebdomadaires, il n’y avait pas moyen, à l’instar d’autres médias, d’assurer une couverture quotidienne. « On ne pouvait pas passer deux jours à Oka », de plus, précise le journaliste, il avait plusieurs autres tâches à accomplir durant la semaine.
Si les journaux auxquels est rattaché Benoit Bilodeau avaient des limites structurelles, il admet qu’en tant que journaliste à peine investit dans le métier, il avait, lui aussi, ses limites. Il précise qu’il n’était pas un journaliste d’enquête, mais plutôt quelqu’un appelé « à tout faire » sur le terrain.
Au fil des semaines, sa méthode consistait à faire un compte-rendu hebdomadaire des principaux événements, sans prétendre à une analyse approfondie. Il se contentait de rapporter ce qui s’était déroulé sur le terrain durant la semaine.
Impacts
La crise prend fin le 26 septembre 1990, après plus de deux mois de confrontation tendue, étalant des tensions foncières de longue date, et exacerbant l’opposition des communautés autochtones aux politiques territoriales provinciales. Elle a eu un impact majeur sur les relations entre les groupes autochtones et les gouvernements canadien et québécois, ainsi que sur la région d’Oka et les environs. Cette crise, pour Benoit, était une école. « Ça m’a apporté de voir comment ça fonctionnait aussi […] on ne voit pas ça souvent ».

Une manifestation pacifique nommée « Oka, cinq ans après », organisée en 1995 par des citoyens d’Oka, demandant au gouvernement d’instaurer la paix sociale tant sur le territoire autochtone que sur le territoire non autochtone.
Cet événement lui a permis, poursuit-il, de « connaître cette réalité » locale et de saisir les enjeux territoriaux, notamment, ceux impliquant Oka et Kanesatake. Il établit des parallèles avec d’autres dossiers qu’il couvrait, comme l’expropriation à Mirabel, « d’une autre nature, mais qui est quand même un dossier d’envergure provinciale ».
Avec 35 ans de recul, Benoît place la crise dans une perspective plus large de conflits durables, soulignant que « ça ne date pas d’hier ». Pour lui, cela explique pourquoi leurs résolutions « ne se font pas du jour au lendemain ». Mais il observe aussi qu’il y a parfois « des compréhensions de part et d’autre ».
MOTS-CLÉS
Kanesatake
Crise Oka
Conflit
Territoire autochtone
35 ans
Oka