Sur scène, la chorégraphe elle-même, Maïgwenn Desbois, enchaîne une série de tableaux avec un danseur et deux danseuses professionnelles, lesquels vivent avec des syndromes qui pourraient nous sembler de sérieux obstacles dans le cadre d’un tel exercice: Asperger (Anthony Dolbec), Williams (Gabrielle Marion Rivard) et X fragile (Roxane Charest Landry).
Ne pas en être avisé n’y changerait pas grand-chose puisque cet opus de Mme Desbois contient toutes les qualités qu’on recherche raisonnablement dans un spectacle de danse contemporaine. Mais puisque l’on sait, et pour avoir visionné l’extrait de 18 minutes qu’on nous offre sur le Web, pour avoir appris que parmi les syndromes énumérés plus haut, l’un implique une grande difficulté de rythme et de coordination, l’autre une réticence profonde à l’égard des contacts physiques, quand on sait tout ça et qu’on embrasse la finalité du processus, l’émotion est particulièrement vive.
Le rapport à la différence
«Le titre du spectacle évoque le paradoxe de ce que l’on ressent devant les personnes qui vivent avec une déficience intellectuelle. Quand elles sont petites, on les trouve attendrissantes, mais quand arrivent l’adolescence, la puberté et les changements hormonaux, quand elles ressentent les mêmes désirs que n’importe qui, on les trouve tout d’un coup moins mignonnes» , exprime Maïgwenn Desbois.
Et la chorégraphe enchaîne en faisant remarquer que si l’on est capable d’accepter que ces personnes, par exemple, se fassent les yeux doux et se tiennent par la main, on préfère par contre, au-delà d’une certaine limite, ne rien voir. On peut aimer avec son cœur, mais pas trop, quand même.
Ce rapport à la différence et la normalité, Maïgwenn Desbois en a fait le mandat de sa compagnie fondée en 2013 et s’efforce de faire reconnaître non seulement le talent, mais le calibre professionnel de ses interprètes. Nous irions même jusqu’à dire leur droit d’exister en tant qu’artistes. «Ce n’est pas un loisir. C’est un métier qu’ils ont choisi» , affirme celle qui a une bonne longueur d’avance sur la plupart d’entre nous au chapitre des perceptions. «Je suis tombée dans le bain dès l’enfance, dit-elle, puisque ma mère travaillait comme éducatrice spécialisée. Toute ma vie, j’ai côtoyé des personnes vivant avec une déficience intellectuelle.»
La part du défi et le dialogue
Son parcours artistique l’aura naturellement menée jusqu’au Centre des arts de la scène Les Muses, en 2009, où elle a fait la connaissance d’Anthony Dolbec et Gabrielle Marion Rivard, puis éventuellement Roxane Charest Landry (et bien d’autres qui, depuis, ont rejoint Les Orteils), à qui elle enseignait la danse. Et puisque vous posez la question, oui c’est plus compliqué, et oui c’est plus long.
«Le défi est notre mode de fonctionnement» , résume la chorégraphe en évoquant notamment la gestion d’une troupe dont les membres ne sont pas nécessairement autonomes. Elle parle aussi d’un mode de création qui s’appuie sur une esthétique brute et organique et, pour reprendre ce qu’on peut lire sur le site Web de la compagnie, favorise l’authenticité et la vérité du mouvement.
Avec ses danseurs, Maïgwenn Desbois ne cherche pas la perfection (qui n’est pas de ce monde), mais elle se montre tout aussi exigeante qu’elle ne le serait avec des artistes neurotypiques. «Je sais ce qu’ils sont capables de faire et je sais quand ils sont en dessous de ça» , dit-elle.
Le rapport qui s’établit entre la compagnie et la communauté, par ailleurs, est à la fois de l’ordre de la création artistique pure et du dialogue social. «Et c’est venu un peu malgré nous, acquiesce Maïgwenn Desbois, à force de faire des spectacles et des centaines d’ateliers dans les écoles, d’organiser des activités de médiation culturelle, des rencontres avec le public, des 5 à 7 et des conférences. On dirait qu’on ne peut pas faire un spectacle et rentrer chez nous tout de suite après. Ça vient toujours avec un dialogue. Les gens ont envie de nous parler et d’en savoir plus.»
Or, sachez qu’avant d’ouvrir le dialogue, le mercredi 3 avril, vous aurez assisté à un spectacle s’appuyant sur une trame narrative facile à suivre, laquelle a été élaborée sur le mode de l’improvisation, après une série de discussions entre la chorégraphe, les interprètes et une dramathérapeute, des échanges portant sur cet enjeu de la sexualité chez les personnes vivant avec une déficience, les tabous, les embûches, les frustrations. Sur scène, le défi de chacun se trouve chorégraphiquement démontré.
Ce qui frappe, par ailleurs, c’est cet état d’abandon dans lequel les interprètes se livrent, y compris la chorégraphe. «Les liens sont très forts» , dit-elle et se sont tissés avec le temps. La confiance mutuelle, d’ailleurs, est absolument perceptible.
Avec pas d’cœur sera présenté le mercredi 3 avril à 19 h 30, au Cabaret BMO Sainte-Thérèse. «C’est un spectacle nécessaire parce qu’il repousse les conventions et qu’il exprime la diversité» , suggère Maïgwenn Desbois.
Pour information et billetterie: [http://odyscene.com].
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