logo journal leveil
icon journal
featuredImage

Marion H. Gérard, peintre subaquatique. (Photo Claude Desjardins)

GalleryImage2

La matière est abondante et l’empreinte gestuelle omniprésente. (Photo Claude Desjardins)

Marion H. Gérard: de la parole aux actes

Publié le 03/04/2017

Il ne saurait en être autrement, la forme et le fond sont intimement liés dans l’œuvre de Marion H. Gérard, une artiste qui plonge littéralement dans l’acte de peindre en enfilant sa combinaison, son masque et ses palmes, à des profondeurs qui vont jusqu’à s’inscrire au Guinness.

Vous n’avez pas la berlue, produire une toile pour cette artiste eustachoise relève de l’expédition, elle qui fait partie d’un rare contingent de peintres subaquatiques qui, à l’échelle planétaire, ne se comptent que sur une main.

Pour dire les choses autrement, la peinture subaquatique se pratique sous l’eau, avec le même équipement que sur le sec (canevas, tubes de couleur et spatules), parfois en piscine, mais dans le cas de Marion H. Gérard, dans des lacs ou dans la mer.

Un geste écologique

C’est là qu’au-delà du geste de peindre, elle exprime aussi son inquiétude sur l’état des lieux, alors que des déchets de plastique s’accumulent dans les océans à un tel rythme et avec une telle ampleur que l’on a donné le nom de «septième continent» à cet amas flottant et polluant qui bouleverse et menace les écosystèmes.

«Sous l’eau, on ne pense pas. On est connecté directement avec le cœur», de dire celle qui a grandi dans le Biarritz en rêvant d’être Cousteau et qui jumelle désormais ses deux grandes passions dans une démarche à la fois artistique et écologiste. «J’ai été témoin de la pollution causée par notre civilisation soi-disant évoluée et de l’impact de cette pollution dans nos océans. Ça m’a interpellée», exprime celle qui se définit moins comme une militante qu’une citoyenne respectueuse de l’environnement.

«Je ne veux faire la morale à personne. Seulement éveiller les consciences», ajoute l’artiste qui ne mesure pas moins le caractère sensationnaliste de la démarche et qui a justement profité de la Journée mondiale de l’eau, le mercredi 22 mars, pour lancer une exposition intitulée L’eau: j’ai osé, qui se poursuit jusqu’à la fin avril, au Centre d’art La petite église, à Saint-Eustache. C’est ce jour-là, par ailleurs, que le député Benoit Charette lui a remis la Médaille de l’Assemblée nationale.

D’un seul jet

Sur place, vous trouverez une série de tableaux de facture impressionniste, constitués d’une matière abondante sur laquelle l’empreinte gestuelle est omniprésente. Les scènes sont évidemment aquatiques. On y devine parfois des épaves de bateau et des silhouettes androïdes que l’artiste identifie comme ses guides et qui expliquent la particule «H» (pour Henri) dans son nom. La couleur (la peinture à l’huile est moins polluante que la crème solaire, affirme l’artiste) est appliquée directement sur la toile puis travaillée vigoureusement à la spatule. Il faut faire vite, car une fois sous l’eau, votre temps est compté. «Je peins sur le motif. Il n’y a rien de préparé. Je me lance et je ne dois jamais me remettre en question. Tout doit se faire d’un seul jet», dit-elle. Point d’honneur: les tableaux ne sont jamais retouchés une fois à la surface.

Il est à noter qu’une fois qu’on a atteint et dépassé la profondeur des trois mètres, les couleurs chaudes disparaissent, si bien qu’il faut peindre à l’aveugle… comme Beethoven composait sans pouvoir entendre le résultat. Dans le Guinness, on indique que Marion H. Gérard a peint une toile à 106 pieds de profondeur, le 5 août 2016, à la carrière Morisson à Chelsea. À une profondeur où le froid devient un autre facteur de difficulté, auquel s’ajoutent la distorsion visuelle, l’obscurité, la pression sur les poumons et tutti quanti.

Et si vous peigniez en atelier, ça ne donnerait pas la même chose, Mme Gérard? «Non!» s’exclame-t-elle, dans un rire qui repousse l’équivoque, elle qui caresse aussi le rêve de peindre sous la glace et… au Mexique (tout de même).

«Le projet final, dit-elle, c’est de peindre les beautés océaniques qui existent encore partout dans le monde.» Dans une salle adjacente, ajoute-t-elle, pour faire contrepoids, elle présenterait des tableaux du «septième continent» qui seraient aussi peints sur le motif. Pour sensibiliser les gens, il y a autre chose que Facebook, suggère l’artiste.