« C’est un grand honneur pour moi de m’entretenir avec l’écrivaine, la scénariste, la féministe, la militante, la blonde, la mère, la grand-mère, l’arrière-grand-mère, la femme exceptionnelle que tout le Québec adore, celle qu’on appelle affectueusement Janette », a glissé d’entrée de jeu Benoit Archambault qui animait l’entretien, visiblement ému de recevoir dans le cadre des Rencontres littéraires celle qui a célébré son centième anniversaire au printemps et qui a encore des projets professionnels en tête.
Vive et passionnée
Disons-le tout de suite, malgré quelques mots qui lui échappent parfois, Janette Bertrand n’a rien perdu de sa vivacité, de son mordant et surtout de sa longue quête pour l’égalité des sexes. Abordée avec sensibilité et quelques taquineries par l’artiste Archambault, qui blaguait sur le « beau jeune homme devant elle », celle-ci lui a répondu du tac au tac : « ce n’est pas parce qu’on n’achète plus, qu’on ne magasine pas », ce qui a fait éclater de rire l’assistance.
Comment reste-t-on aussi dynamique ? « Je vis pleinement, car je sais que ça achève. La pire chose quand on vieillit, c’est la dépendance. Ton corps ne veut plus. Moi j’aime le monde et j’ai besoin d’être en contact avec les gens », a laissé savoir la femme qui détient indiscutablement la plus longue popularité du Québec — Pardon Céline !
Cette popularité la fait bien sourire, elle qui s’est sentie critiquée pendant longtemps, confrontant sans doute trop le confort masculiniste des hommes en vue de faire progresser leur perception de la femme. Car ne nous y trompons pas, la grande quête de Janette est celle de l’égalité des sexes, une revanche sur l’éducation reçue de son père, qui percevait l’homme comme le sexe fort, comme tout autre homme de son époque, et une mère devenue mère trop vite et sans l’avoir désirée. Un rôle de femme réduit à peu de choses, qui se poursuivra même dans son mariage. Pendant longtemps, son mari Jean Lajeunesse signera les textes qu’elle écrivait pour le petit écran — Toi et moi et Quelle famille !

Janette Bertrand fait le tour des médias pour parler de son nouveau bouquin qui paraît cette semaine sous le titre : Cent ans d’histoire : Vous m’avez raconté le Québec.
La quête d’une vie
Mme Bertrand a donc fait un retour sur son histoire personnelle afin d’expliquer pourquoi cette quête en faveur des droits des femmes était si importante pour elle. Au sanatorium où elle a séjourné pour guérir sa tuberculose, elle s’est jurée de faire bouger les lignes de ce long patriarcat si elle s’en sortait. « Je voulais prouver à mon père qu’une femme vaut quelque chose. »
C’est la voie du journalisme qui la séduisait le plus. Mais c’était une époque où les portes des médias restaient fermées pour les femmes qui aspiraient à pratiquer ce métier. L’illustre Jean-Charles Harvey lui proposera plus tard le Courrier du cœur pour Le petit journal, chronique qu’elle tiendra durant 17 ans. Les gens se confiaient à elle encore plus qu’au confessionnal, ne se sentant point jugés, et elle a ainsi pris pleine conscience de la réalité des femmes et des hommes, de leur vie de couple, de leur sexualité insatisfaisante et même violente parfois, se souvient-elle. Elle se rappelle la lettre d’une femme qui lui demandait : « c’est quoi ça, la jouissance ? » et celle d’un jeune homme lui disant : « mon père veut me tuer parce qu’il a découvert que j’aime les garçons ». « J’ai plus appris sur l’humain que durant toutes mes études (universitaires) », retient-elle de sa période de courriériste.
Une expérience marquante qui ne fera que renforcer son désir de faire évoluer la cause féministe. C’est ainsi qu’elle a continué à écrire. En 20 ans, elle a signé 14 bouquins, sans parler de son téléroman Grand-Papa et de la série de dramatiques Avec un grand A où elle abordait différentes problématiques relationnelles, dont la violence conjugale, la différence d’âge et le rapport père-fils, série qu’elle a complétée par l’émission Parler pour parler, en recevant des gens de toute sorte autour de sa table.
Elle a également enseigné l’écriture scénaristique pendant 20 ans à l’INIS.
Deux poids, deux mesures
Mais l’injustice envers les femmes la hante encore. Elle se souvient de sa propre fille, Dominique, qui a dû obtenir la « permission » de son conjoint pour avoir une ligature des trompes, il y a moins de 50 ans.
« Toute ma fureur, toute ma colère, c’est venu de l’injustice de « deux poids, deux mesures », affirme Mme Bertrand, qui prend soin d’expliquer que les hommes vivaient alors avec les idées de leur époque, à savoir que la femme était le sexe faible.
C’est que les choses n’évoluent pas assez vite pour Janette, en couple depuis 42 ans avec son beau Donald, qui a 20 ans de moins qu’elle. « J’ai été très choquée que les écoles ne fassent pas l’éducation sexuelle », martèle la grande communicatrice, qui assure qu’il reste encore du travail à faire, à en constater l’ignorance en matière de sexualité des jeunes.
« Ce n’est pas moi qui le dis, mais les experts : dès l’âge de 11 ans, les garçons commencent à regarder de la pornographie, où tout est fait pour le plaisir de l’homme et non de la femme. Alors moi, je me choque et je me dis : il faut que je fasse quelque chose », clame celle qui a bien conscience « qu’on ne peut pas défaire en 100 ans ce qui a été fait en 1000 ans ».
D’ailleurs en 2018, elle a jeté sur papier ses inquiétudes dans Vous croyez tout savoir sur le sexe ?, un bouquin co-signé avec le sociologue Michel Dorais avec lequel elle échange sur le sujet.
Même si elle préconise de revoir l’éducation des garçons, elle observe des progrès dans la condition des filles. « Les filles travaillent et réussissent. »

Vive et dynamique, la grande communicatrice Janette Bertrand sait encore faire preuve de répartie lors de ses conférences, au grand plaisir des spectateurs.
Oser et essayer
Évidemment, la lutte féministe n’est pas le seul sujet qui l’interpelle en cette 101e année de vie. Il y a la vie, tout simplement. Dernièrement, le chanteur Patrick Norman lui a demandé de lui écrire une chanson. « Je lui ai dit : je ne sais pas si je suis capable, mais je vais essayer ». La chanson Vieillir à deux, c’est mieux sortira le 22 octobre.
Oser, essayer, malgré le doute. C’est vraiment le leitmotiv qui a guidé la grande communicatrice tout au long de son parcours. Et qui vieillit. « Oui, on est vieux, je suis vieille. Pourquoi toujours sucrer les mots ? », questionne Janette qui estime que l’on peut toujours apporter quelque chose à la société, peu importe l’âge.
L’an dernier, elle a lancé son livre : Cent ans d’amour : réflexions sur la vieillesse, qu’elle a promue d’un salon du livre à l’autre.
Oui, Janette Bertrand vieillit. « Des fois, je panique : je suis fatiguée, j’ai mal au dos, j’ai mal partout. Mais je sens que j’apporte quelque chose. Il faut arrêter de se regarder et penser aux autres », assure la grande dame de la télévision, qui a pourtant souffert d’un cancer du sein antérieurement. Mais quand elle donne une conférence, elle dit oublier tous ses maux. « Là, (devant vous) je suis très bien dans mon corps », précise-t-elle, soutenue par son gériatre, « qui ne te guérit de rien mais te fait une vieillesse confortable ».
C’est ainsi qu’elle a cessé toute consommation d’alcool, mais se permet encore les sucreries, elle qui a une « dent sucrée » depuis toujours. « C’est mon projet, la mort. C’est ça qui va m’arriver, alors laissez-moi en parler. Janette dit qu’elle aimerait mourir comme son père, qui a terminé sa vie, couché au lit et encerclé par la chaleur des bras de ses enfants qui lui murmuraient à l’oreille : « je t’aime papa ».
Mais elle n’est pas pressée de quitter ce monde. Durant la prochaine période des Fêtes, Télé-Québec diffusera une émission où elle s’entretiendra avec des jeunes sur leur vie, leurs préoccupations. Un grand rendez-vous intergénérationnel.
Des projets, elle en caresse encore. Décidément, on ne la changera pas.
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