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Chronique littéraire — Emmerdes, de Samuel Sénéchal

Photo Jade Lesieur –

Emmerdes, publié aux Productions Désordre — une voix d’ici à découvrir.

Chronique littéraire — Emmerdes, de Samuel Sénéchal

Publié le 13/11/2025

« Avant, j’avais des rêves. Maintenant j’ai un horaire. » (p. 10)

Dès la première page, le ton est donné. Cette phrase condense l’esprit du roman : celui d’un homme qui n’est pas malheureux, mais dont les jours s’étirent sans relief. Avec Emmerdes, Samuel Sénéchal signe un livre où l’ennui devient matière vivante — un état qu’il observe avec une lucidité douce, sans chercher à le fuir.

Écrivain, éditeur, musicien et enseignant originaire de Saint-Eustache, Sénéchal publie ici son dixième roman sous Les Productions Désordre, la maison d’édition qu’il a lui-même fondée. Fidèle à son indépendance, il poursuit sa route en solitaire, comme son narrateur, un homme d’une quarantaine d’années installé dans un confort sans éclat. Tout semble en ordre : le couple, la maison, le travail, les passions. Pourtant, quelque chose s’effrite doucement.

Le roman se découvre lentement. On y ressent ce temps suspendu où tout va bien, mais où plus rien ne bouge. Sénéchal parle de la vie ordinaire avec une justesse déconcertante : un café tiède, une habitude qui persiste, une pièce silencieuse. Son écriture épurée, ancrée dans le parler d’ici, épouse la lenteur du quotidien jusqu’à la faire ressentir au lecteur. On ne lit pas Emmerdes ; on y habite.

Puis arrivent les nouveaux voisins — bruyants, maladroits, un peu envahissants. Ils dérangent le calme établi, forçant le narrateur à tourner la tête vers autre chose que son propre vide. Judith, la voisine, devient malgré elle le fil qui rattache cet homme au monde. Peu à peu, sa routine se fissure, la vie s’infiltre à nouveau. Et c’est peut-être là que tout commence : le roman s’écrit au moment où le quotidien se dérègle.

Rien de spectaculaire ne se produit, et pourtant tout change. Emmerdes n’est pas un roman de péripéties ; c’est une observation où l’ennui devient miroir — celui de nos propres silences.

« J’ai tout ce que j’ai toujours désiré. Pourquoi alors m’arrive-t-il encore si souvent de me réveiller aux prises avec ce vide existentiel, cette impression que je ne sers à rien, que ça ne sert à rien ? » (p. 34)

Tout le roman se tient dans cette question. Derrière la stabilité, il y a ce vide familier : celui des routines trop bien rodées, des certitudes devenues tièdes. Sénéchal transforme ce qui pourrait être fade en quelque chose d’universel : une expérience douce-amère où chacun se reconnaît. Car qui ne s’est jamais demandé : et maintenant ?

Avec Emmerdes, Samuel Sénéchal suggère que l’ennui, parfois, est une façon d’écouter le monde différemment.