La situation est inédite à Sainte-Marthe-sur-le-Lac. Le maire François Robillard, élu par acclamation pour la première fois, pour un deuxième mandat, se dit surpris de l’absence d’opposition dans cette ville de près de 20 000 habitants, habituée à la fièvre électorale « depuis au moins la fin des années 70 ».
Pourtant, ce n’est pas un fait nouveau. Xavier-Antoine Lalande, maire de Saint-Colomban, célèbre non sans réserve, son 2e mandat par acclamation. Ève Bourgeois, professeure adjointe au département de sciences politiques de l’Université Laval, rappelle qu’en 2021, 615 maires ont été élus sans opposition. Selon elle, ce phénomène touche principalement les villes de 5 000 habitants et moins, bien qu’il y ait des exceptions comme Terrebonne, la deuxième plus grande Ville du Québec, qui a élu son maire et 14 conseillers municipaux par acclamation.
Désintérêt
Selon la professeure Bourgeois, une étude réalisée à la suite des élections de 2017 a établi que l’absence d’opposition est attribuable à une certaine apathie des citoyens envers la politique municipale. De plus, certaines personnes considèrent ne pas détenir les connaissances ou compétences spécifiques pour l’emploi, fait-elle valoir.
Rémy Trudel, Professeur à l’École nationale d’administration publique (ENAP), pour sa part, présente cette vague d’élections par acclamation comme « une sacrée bonne nouvelle quand toute une population décide de reporter des personnes ou des équipes à la direction de leur municipalité ». Il affirme que « ça a un impact très positif », appelant à « détruire le mythe tout à fait inexact de dire que parce qu’il n’y a pas eu de contestation, que c’est une conclusion d’une absence de motivation de la population ».
Le maire de Saint-Colomban, Xavier-Antoine Lalande, estime avoir gagné cette confiance de la population. Il dit être satisfait de la reconnaissance du travail accompli. Cependant, il craint que sa légitimité soit remise en cause.
« Oui, il y a la satisfaction de la reconnaissance des gens, mais en même temps, une élection, il n’y a rien de plus solide que ça pour donner une légitimité d’action à nos décisions. Puis, en huit ans, de ne pas avoir d’élection, c’est sûr que ça peut affecter auprès de certaines personnes la légitimité de notre place », déplore-t-il, estimant néanmoins entre 5 et 10 % de la population souhaitant une opposition.
Le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation dit avoir mis en œuvre plusieurs activités afin de susciter l’intérêt de la population pour les élections. Il s’agit, entre autres d’une campagne lancée en novembre 2024 et poursuivie jusqu’en septembre 2025, sous le thème « Tu aimes ton coin, vas plus loin ». Cette campagne, qui s’est adressée à toute la population, notamment aux femmes et aux jeunes, avait pour objectif « de transformer l’attachement des gens envers leur communauté en un engagement politique au sein de leur conseil municipal ».
La vitalité démocratique en péril ?
Rémy Trudel rejette catégoriquement l’idée que les élections par acclamation nuisent à la démocratie. Pour lui, « c’est un raisonnement faux, inadéquat et infondé au niveau de la réalité de penser que le fait de reporter une équipe crée un déséquilibre démocratique ».
« Quand il n’y a pas de contestation, c’est parce que la population qui est sage et intelligente a pu évaluer le travail des quatre dernières années ».
Le professeur reconnaît toutefois le problème posé par le fait que certaines municipalités n’aient reçu aucune candidature, décrivant cette situation comme « minuscule, microscopique ». « C’est tout au plus 10 petites municipalités sur 1100 », précise-t-il.
Le maire de Saint-Colomban, quant à lui, met l’accent sur les efforts déployés pour améliorer la transparence et l’accès à l’information dans la ville, soulignant la mise en place de la « webdiffusion des séances » depuis son arrivée en 2017. « Tant qu’on respecte ce principe de la transparence de nos décisions, moi, je ne serais pas d’accord à dire qu’il y a une carence en vitalité démocratique », défend Xavier-Antoine Lalande.
Selon la professeure Ève Bourgeois, la question de la santé démocratique locale soulève des enjeux complexes qui vont au-delà du simple nombre de candidatures. Elle reconnaît que « c’est sûr qu’on aimerait avoir plus de participation électorale », tout en rappelant qu’il faut considérer plusieurs facteurs.
Absence d’alternative
Elle cite la faible rémunération des élus municipaux, qui, selon elle, constitue un obstacle majeur à l’engagement politique dans les petites municipalités. « Ce sont des postes à temps partiel et qui sont rémunérés à environ 20 000 $ par année, mais ils doivent quand même faire beaucoup d’heures supplémentaires », souligne-t-elle.
Le climat toxique et l’intimidation représentent des obstacles sérieux, indique la professeure, soulignant la question du harcèlement ou de l’intimidation, un enjeu plus présent chez les femmes.
Les dynamiques sociales dans les petites villes peuvent aussi freiner certaines candidatures, fait comprendre madame Bourgeois, précisant qu’il peut être difficile de vouloir « rentrer en compétition avec quelqu’un qu’on connaît depuis longtemps, surtout si cette personne fait somme toute un bon travail ».
Le maire Lalande attribue l’absence de candidatures alternatives aux résultats de son administration et à sa proximité avec les citoyens. « On est très présents sur le terrain, on est très bien conscients des problématiques sur le territoire, puis on les règle ». Selon lui, les problèmes sont réglés avant de devenir des enjeux politiques mobilisateurs.
Même son de cloche du côté de François Robillard qui considère que, pour se présenter, « il faut quand même identifier des points à améliorer, arriver avec des idées et un programme ». Selon lui, en l’absence d’enjeux polarisants et face à une population satisfaite, il devient difficile de proposer une plateforme qui s’oppose ou se distingue véritablement.
« Mais le fait que ce soit des personnes qui sont élues par acclamation, ça ne veut pas nécessairement dire que les gens sont satisfaits avec la personne au pouvoir ou qu’ils ont confiance », nuance la professeure Ève Bourgeois. Elle précise que « ça peut être juste par le manque d’alternatives ».
Paradoxalement, malgré le phénomène des élections par acclamation, les petites municipalités affichent les meilleurs taux de participation, souligne madame Bourgeois, rappelant que lors du scrutin de 2021, alors que le taux de participation à l’échelle provinciale était de 38,7 %, il atteignait 54,5 % dans les municipalités de moins de 2 000 habitants, soit un écart de près de 16 points de pourcentage.
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